Dès les années 50, le futur président échafaudait déjà les plans d’un empire colonial rénové. La stratégie de François Mitterrand ? Abandonner l’assimilation au profit d’un fédéralisme calculé, octroyant une autonomie de façade pour mieux conserver l’influence de la Métropole.
Tout juste trentenaire quand naît la IVe République en 1946, François Mitterrand ne cache pas ses ambitions. Député de la Nièvre et membre de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), un parti occupant une position charnière à l’Assemblée nationale, ce fin stratège sait profiter de l’instabilité gouvernementale pour gravir les échelons.
Onze fois ministre entre 1947 et 1957, à des postes toujours plus prestigieux, il manque de peu la plus haute marche gouvernementale, la présidence du Conseil. Et il faut faire remarquer que les questions coloniales ont joué un rôle essentiel dans cette ascension politique.
Ministre de la France d’outre-mer entre juillet 1950 et juillet 1951, Mitterrand devient rapidement « l’un des spécialistes attitrés de la IVe République pour les problèmes africains », selon le politologue Roland Cayrol.
« Mon passage au ministère de la France d’outre-mer est l’expérience majeure de ma vie politique », note l’intéressé lui-même dans son livre Ma part de vérité (1969).
Ce passage par le ministère de la rue Oudinot est marqué par une opération politique étonnante : le spectaculaire « retournement » en 1950 de Félix Houphouët-Boigny, président du Rassemblement démocratique africain (RDA), qui passe en quelques mois d’une posture anticolonialiste à une collaboration fervente avec les autorités françaises.
La relation qu’entretiennent Mitterrand et Houphouët dans les années suivantes peut être interprétée comme l’amorce d’une nouvelle relation franco-africaine, presque fusionnelle…
Refonte subtile de l’empire colonial
Dans son dernier ouvrage « L’Afrique d’abord. Quand François Mitterrand voulait sauver l’empire français« , le journaliste et historien Thomas Deltombe lève le voile sur une facette méconnue de l’ancien Président français. Loin de l’image du décolonisateur qu’il s’est forgé, Mitterrand apparaît comme l’un des principaux artisans du néocolonialisme français en Afrique.
Deltombe révèle comment, dès les années 1950, Mitterrand a orchestré une refonte subtile de l’empire colonial. Sa stratégie ? Abandonner l’assimilation au profit d’un fédéralisme calculé, octroyant une autonomie de façade tout en maintenant une mainmise française.
Le pacte scellé en 1952 avec Félix Houphouët-Boigny, figure clé de l’Afrique francophone, marque la naissance de la « Françafrique ». Cette alliance stratégique visait à étouffer les mouvements indépendantistes tout en préservant les intérêts français.
Paradoxalement, Mitterrand s’est farouchement opposé au projet d’Eurafrique, craignant que l’intégration européenne ne dilue l’influence française sur le continent africain. Une posture qui souligne sa vision d’un « pré carré » africain exclusivement français.
L’ouvrage de Deltombe déconstruit également le mythe du Mitterrand décolonisateur. Après son éviction du pouvoir en 1958, l’ancien ministre aurait pu réécrire son rôle, masquant son opposition fondamentale à l’indépendance des colonies africaines.
En fin de compte, « L’Afrique d’abord » invite à reconsidérer l’héritage de Mitterrand et à réexaminer les fondements de la politique africaine de la France. Une lecture essentielle pour comprendre les racines profondes de la Françafrique et ses répercussions actuelles.