Le rapport explosif de la Cour des comptes du Sénégal, publié le 12 février 2025, dévoile des anomalies financières majeures sous l’administration de l’ex-président Macky Sall. Il révèle des manipulations d’indicateurs économiques, des détournements massifs de fonds publics et des pratiques financières opaques ayant gravement impacté l’économie du pays. Question à mille balles : où étaient pendant la période concernée les différents corps de contrôle (Inspection Générale d’État, Cour des Comptes, Inspection Générale des Finances…) du Sénégal ?
La Cour des Comptes vient de publier un rapport accablant sur la gestion des finances publiques entre 2019 et mars 2024, mettant en lumière des irrégularités majeures, des dettes non comptabilisées, et des pratiques financières opaques qui ont pesé lourdement sur les finances de l’État. Ce rapport, qui fait suite à un audit approfondi, révèle des écarts significatifs entre les données officielles et la réalité des comptes publics, ainsi que des manquements graves dans la gestion de la trésorerie et de l’endettement.
Recettes irrégulièrement rattachées et créances non recouvrées
Le rapport souligne que des recettes fiscales ont été irrégulièrement rattachées à des exercices antérieurs, faussant ainsi les données budgétaires. Par exemple, des recettes perçues en 2020 ont été comptabilisées en 2019, réduisant artificiellement le déficit budgétaire de cette année-là. Ces pratiques ont été observées à la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) et à la Direction générale des Douanes (DGD), avec un total de 131,04 milliards de F CFA irrégulièrement rattachés entre 2020 et 2024. En outre, les restes à recouvrer (RAR), c’est-à-dire les créances fiscales non perçues, ont été sous-estimés. Le rapport du gouvernement indiquait un montant de 408,2 milliards de F CFA, mais la Cour a révélé que ce chiffre ne tenait pas compte des créances douanières de 261,71 milliards de F CFA, portant le total des RAR à 669,9 milliards de F CFA au 31 mars 2024.
Dépenses fiscales non exhaustives et exonérations non évaluées
La Cour a aussi constaté que les dépenses fiscales, notamment les exonérations accordées par l’État, n’ont pas été correctement évaluées. Le rapport du gouvernement ne fournissait pas de données pour les années 2022 et 2023, en violation des normes de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Selon la Cour, ces manquements empêchent une vision claire de l’impact des exonérations sur les finances publiques.
Transferts massifs aux services non personnalisés de l’État
Le rapport révèle que les services non personnalisés de l’État (SNPE), des entités dépourvues de personnalité juridique, ont bénéficié de transferts budgétaires massifs, totalisant 2 562,17 milliards de F CFA entre 2019 et 2024. Ces transferts, effectués via des comptes de dépôt, ont échappé aux contrôles de régularité, exposant les deniers publics à des risques de mauvaise gestion. Parmi les comptes de dépôt examinés, celui de la Cellule d’Appui à la mise en œuvre des projets et programmes (CAP/Gouvernement) a été utilisé pour des dépenses non autorisées, notamment des remboursements de dettes bancaires sans lien avec l’objet initial du compte. En 2023, un montant de 305,94 milliards de F CFA a été décaissé pour rembourser des dettes, sans que ces opérations ne soient retracées dans les comptes de l’État.
Discordances dans les données sur les ressources extérieures
La Cour a relevé des écarts importants entre les données fournies par la Direction de l’Ordonnancement des Dépenses publiques (DODP) et celles du Tableau des Opérations financières de l’État (TOFE). Par exemple, en 2023, les dépenses financées par des prêts projets communiquées par la DODP étaient supérieures de 696,7 milliards de F CFA à celles enregistrées dans le TOFE. Ces écarts ont pour effet de minorer artificiellement le déficit budgétaire.
Surfinancement de 604,7 milliards en dépenses non budgétées
Le rapport met en lumière une dette bancaire importante contractée hors des procédures budgétaires normales. Au 31 mars 2024, l’encours de cette dette s’élève à 2 517,14 milliards de F CFA, dont 1 961,07 milliards de F CFA de crédits directs et 357,89 milliards de F CFA de certificats nominatifs d’obligations (CNO). Ces dettes, souvent adossées à des lettres de confort signées par les ministres des Finances, n’ont pas été autorisées par le Parlement et ne figurent pas dans les lois de finances. En 2023, un surfinancement de 604,7 milliards de F CFA a été dégagé, mais une partie de ces fonds (326,43 milliards de F CFA) a été utilisée pour des dépenses non prévues au budget, notamment des remboursements de dettes bancaires et des transferts à des entreprises publiques comme la Senelec et Air Sénégal. Ces dépenses, effectuées sans couverture budgétaire, ont été autorisées par le ministre des Finances, en violation des règles de la loi de finances.
114,4 milliards du Sukuk SOGEPA non versés au Trésor
La Cour des comptes a également constaté que des dépôts à terme (DAT) d’un montant total de 141,09 milliards de F CFA, constitués par le Trésor public, n’ont pas été reversés. Ces fonds, bloqués dans des banques commerciales, ont été utilisés pour couvrir des dépenses non autorisées, sur instruction des ministres des Finances. Cette pratique contrevient aux règles de gestion des deniers publics, qui stipulent que seuls les comptables publics sont habilités à manier les fonds de l’État. Le rapport révèle également que sur les 247,33 milliards de F CFA issus de l’emprunt obligataire (Sukuk) émis par la Société nationale de Gestion et d’Exploitation du Patrimoine bâti (SOGEPA) en 2022, seulement 132,9 milliards de F CFA ont été reversés au Trésor public. Le reliquat de 114,4 milliards de F CFA a été utilisé en dehors des circuits budgétaires, sans justification claire.
Déficits budgétaires sous-estimés et dette garantie sous-estimée
En recalculant les déficits budgétaires en tenant compte des dépenses non comptabilisées, des rattachements irréguliers de recettes et des dettes bancaires hors cadrage, la Cour a constaté que les déficits réels sont bien supérieurs à ceux affichés par le gouvernement. Par exemple, en 2023, le déficit recalculé s’élève à 2 291 milliards de F CFA, soit 12,3 % du PIB, contre un déficit officiel de 911,7 milliards de F CFA (4,9 % du PIB). Le rapport du gouvernement indiquait une dette garantie de 535 milliards de F CFA, mais la Cour a révélé que ce montant est en réalité de 2 265,45 milliards de F CFA, incluant des garanties accordées à des projets dans le secteur de l’énergie, notamment à la Senelec. Ces garanties, non prises en compte dans les documents officiels, exposent l’État à des risques budgétaires importants.
Appel à la transparence et à la responsabilité
La Cour des Comptes a formulé plusieurs recommandations pour améliorer la gestion des finances publiques, notamment la rationalisation des transferts aux SNPE, la clôture des comptes bancaires non gérés par des comptables publics, et la publication des rapports d’évaluation des dépenses fiscales dans les délais prévus par l’UEMOA. Elle appelle également à une meilleure coordination entre les différentes directions du ministère des Finances pour garantir l’exactitude et l’exhaustivité des données budgétaires. Ce rapport, qui met en lumière des dysfonctionnements majeurs dans la gestion des finances publiques, soulève des questions cruciales sur la transparence et la responsabilité des gestionnaires publics. Il reste à voir comment les nouvelles autorités répondront à ces constats et quelles mesures seront prises pour éviter que de telles irrégularités ne se reproduisent à l’avenir.